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Dans tous les coins du monde, l’alcool est passionnément aimé de certains hommes. D’autres, au contraire, ont horreur de ce liquide. On connaît le propre de l’alcool : c’est bon quand on en prend peu — trop, c’est mauvais. Mais ceux qui l’aiment, souvent tombent malades ou meurent empoisonnés. C’est une faiblesse de l’homme.

Quant aux souliers, ce sont des objets nécessaires à la vie humaine : ni de quoi passionner, ni de quoi aimer. On les met aux pieds : contre le froid et pour rendre la marche supportable. Leur utilité, il n’y en a que du bien.

On ignore que les souliers et l’alcool sont aussi passionnément aimés d’un animal sauvage. Chez nous, autrefois, on chassait sans fusil mais avec le couteau. La puissance du projectile d’un fusil, souvent, ne peut traverser la peau de certains animaux. Les gorilles sont des animaux d’une force extrêmement prodigieuse. Aucun homme ne peut lutter contre eux sans armes. Malheureusement, ces animaux ont autant de défauts que les hommes. Les chasseurs de gorilles utilisent les souliers et l’alcool pour capturer ces animaux, ils les posent dans un endroit fréquenté par les gorilles. Lorsque l’un de ceux-ci aperçoit les deux appâts, la joie lui fait pousser des cris. Comme s’il les connaissait bien. Il prend les souliers, les regarde de près, les sent, les mord, les met sur sa tête, les enfile dans ses mains et à la fin les traîne. Assis, il se chausse avec difficulté parce que les souliers ne sont jamais à sa pointure. Pourtant on les a fabriqués pour lui. Il a l’air très content de ces souliers, il gambade tout autour. L’odeur de l’alcool l’excite follement, il laisse nager ses mains dans le pot, le sent, puis goûte. Commence-t-il à boire ? Non ! Soudain, il se sauve en vitesse. On croit qu’il soupçonne que ce liquide n’était qu’un appât pour lui ! Peu après, il revient. Sa convoitise dissipe ses soupçons. Il prend le grand pot d’alcool et le boit d’un coup. Lorsque le pot est vide, il le met de nouveau dans sa gueule, répète le même geste, puis pose le pot par terre. Tout à coup, il court, saute, crie comme un fou et revient prendre le pot pour regarder s’il est empli de nouveau. Quand il est fatigué par l’alcool, il se couche à plat sur la couverture qu’on avait préparée. On attend qu’il dorme. Le chasseur s’approche du monstre avec un couteau qu’il enfonce en plein cœur, puis retire le couteau en vitesse. Le gorille se soulève à peine et retombe. Il est mort. Le chasseur retourne avec des couvertures blanches qu’il trempe dans la mare de sang. L’opération est faite.

Voilà ce que, dans ma jeunesse, un vieux chasseur m’a raconté. Je lui demandai :

—Pourquoi trempez-vous les couvertures dans le sang ?

—Nous avons tué cet animal uniquement pour avoir le sang et teindre les couvertures. Le sang du gorille donne une couleur rouge magnifique qui est très recherchée.

—Je comprends qu’il aime boire l’alcool, mais pourquoi aime-t-il les souliers ?

—Nous avons essayé de tenter le gorille avec des vêtements, des chapeaux, des bottines, tout cela n’a aucun effet. Ce n’est pas une paire de souliers ordinaires qui peut tenter ces animaux. Ce qu’il faut, ce sont des souliers brodés avec des dessins multicolores.

—Est-ce qu’on pourrait les capturer seulement avec de l’alcool ?

—Non ! Il le boit, puis il s’en va.

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